Chapitre I - Reconnaissances - Paragraphe 1

Publié le par konda galner

Aile – 14 Novembre 2001
 
Il fait nuit noire sur la ville lumière. Une pluie battante et régulière rajoute encore un peu plus de discrétion à l’obscurité qui englobe Notre Dame. Posé sur les murs parmi les gargouilles de pierre, immobile, mes ailes noires à moitié déployées me désignent comme l’une d’elle. J’aime me retrouver là, à contempler les humains encore éveillés déambuler à ces heures tardives, comme des âmes égarées. Si seulement ils savaient à quel point… Après plusieurs décennies d’observation, je ne parviens toujours pas à savoir qui ils sont. Tout ce que j’ai pu apprendre de mes instructeurs ne pèse finalement pas bien lourd quand on est confronté à la réalité de leur monde. Créatures pathétiques qui se débattent dans une existence où elles ne contrôlent rien, elles ne se rendent même pas compte de leur condition précaire. Parfois je les envie de ne pas savoir… Les heures passent. Rien ne vient troubler la litanie du vent faisant battre quelques stores, mêlé au rythme régulier du martèlement de la pluie, si ce n’est quelques passants pressés par l’averse. Les heures passent, jusqu'à ce que presque plus rien ne bouge. Un homme déboule d’une ruelle, courant à perdre haleine, apparemment plus pressé que la pluie ne le justifie. Quatre autres suivent, et vont le rattraper. L’espace d’une seconde, j’hésite à intervenir. A quoi bon l’aider… Avec un peu de chance, il s’en sortira avec quelques plaies et bleus, peut être une fracture. Je me détourne et m’envole vers d’autres toits.
 
Je trace ma voie parmi les ombres, porté par l’habitude de chemins longuement empruntés au quotidien. 02h30, je me retrouve devant sa fenêtre. Comme souvent, elle ne dort pas, glissant comme un bateau ivre sur la mer cirée du plancher de son appartement, un clope au bout des doigts indiquant son passage comme une balise. Elle est l’une des rares créatures que j’ai croisées qui m’intriguent vraiment. Elle se débat tous les jours avec la condition humaine de la mortalité, et contrairement à beaucoup elle en est consciente. Pourtant, elle ne sombre pas, et garde toujours une lueur d’espoir et de volonté. Réellement, elle m’intrigue… C’en est presque agaçant, à force. Peut être devrais je la tuer afin que ces images ne me hantent plus… Non… Ce serait me priver de sa présence, et peu de choses arrivent à me distraire ici bas. Certaines fois, j’ai craint qu’elle ne m’ait vu, lorsqu’elle bondissait vers sa terrasse, en ouvrant rapidement la baie vitrée, mais son regard n’a jamais su percer mes ombres. Peut être sent-elle ma présence de temps à autre. Lui resterait il encore des vestiges de ce sixième sens que les hommes ont oublié, qui soutient et exacerbe la volonté de survivre ? L’instinct… Ce que l’on sait sans savoir pourquoi, et sans avoir aucune raison de le croire. Oui, elle est instinctive. Comme une proie qui menace son prédateur… Que ferais je si elle me découvrait ? L’annihiler probablement, première réaction naturelle quand on se sent menacé. Il est vrai qu’elle me manquerait. Ou un baiser d’oubli, sinon, si je suis pris d’un élan de compassion, mais le phénomène brise toujours une partie de ces êtres fragiles, elle ne serait plus vraiment elle même. Je m’amuse à imaginer une rencontre où je me tiendrai devant elle, à me délecter de ses réactions, de ses sentiments, de ses peurs, de sa fascination. Je n’irai jamais vers elle, ce n’est ni dans ma nature, ni dans mes prérogatives. Je doute que cela puisse arriver de toute façon, il faudrait une sacrée force psychique pour pouvoir briser ma coquille de ténèbres. Sacrée… Quel terme ironique ! Ca ne sera pas pour ce soir, apparemment, elle jette sa cigarette à moitié consommée par delà la terrasse, s’abîmant dans le gouffre de la rue comme une luciole agonisante, elle éteint la faible lumière qui éclaire péniblement la pièce, et part se coucher. Et je m’envole encore….
 
Je passe au gré des vents le long des artères de cette cité tentaculaire. A l’observer de la sorte, elle s’apparente à un géant endormi, la rumeur sourde et discrète de la ville à sa respiration régulière et lancinante, un crissement de frein ou un volet qui claque symbolisant un spasme au sein d’un sommeil troublé par un mauvais rêve. Elle est vivante, cette ville… Un cancer de feux d’artifices d’ombres et de lumière. J’y suis comme un corps étranger, parfois parasite nuisible, parfois symbiote involontaire. A force, j’ai même fini par m’y attacher. Il faut que j’arrête de me laisser aller comme ça, on pourrait presque croire que je développe un embryon de sensibilité humaine ! Quelle déchéance !
 
Les heures s’allongent, le temps s’écoule. Après une nuit d’errance, et avant les premiers rails de lumière, je retourne finalement me poser parmi mes fiers frères de pierre. Le sommeil me gagne pendant que la cité s’éveille. Une nuit de plus dépassée… Combien encore…

Publié dans oeuvre en cours

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C
Je suis en train de me remémorer nos premières conversations...C'était pas facil! ^^'Heureusement, j'ai pas laché l'affaire! :-)
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K
<br /> Ah ? Pour moi ca passait tout seul pourtant. <br /> <br /> <br />